ANA | YAN

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Alliée VS Ennemi

Message à toi, maladie de Crohn.

À 17 ans, je ne savais pas que j’allais te rencontrer. Je n’ai jamais voulu de toi non plus. Tu as été hypocrite pour manifester ta présence. Tu t’es bien cachée derrière les bosses bleues sur mes jambes et mes articulations douloureuses. J’ai passé beaucoup d’examens, tu m’as volé du précieux temps. Je t’ai détesté dès l’instant qu’on m’a parlé de toi. Maman m’a dit de ne pas m’inquiéter, papa m’a dit que c’était un mauvais bout à passer et le gastroentérologue lui m’a prescrit des médicaments. Papa a eu raison, tu t’es calmé un certain temps. Tu m’as fait vivre un sentiment d’impuissance envers ce que mes parents vivaient, mettre au monde un enfant malade, personne ne veut ça. Au fil des mois, j’ai eu l’impression de reprendre le contrôle de ma vie. Tes désastres dans mon gros intestin s’étaient mis en pause.

Peu à peu, j’ai continué à vivre essayant d’éviter de penser à toi, même si sournoisement tu gagnais constamment et tranquillement du terrain. Tu faisais mal à mon ventre. Tu t’es cherché des armes pour me freiner, arthrite, psoriasis et anémie me poussant à me faire opérer une première fois. Le chirurgien m’a expliqué qu’il devait enlever un petit bout, qu’il en resterait encore un bout sain, «nice» tu m’avais laissé ça! L’opération s’est bien déroulée, ma famille a pris grandement soin de moi (merci encore!).

Tu t’es fait discrète pour un moment. Je voulais être maman. Je t’ai imposé deux grossesses sans t’en parler. Tu as réagi à la première mais tu ne pouvais pas rivaliser avec l’équipe de spécialistes qui s’assurait que tout se passe bien pour le bébé et moi. Le centre de ma vie était devenu ma famille et j’adorais ça! Et peu à peu, le temps a passé. J’ai commencé à moins sourire, faire moins d’activités et à me cacher derrière les autres pour éviter les soupçons de ton retour. Si je ne t’accordais pas de place, peut-être que tu partirais. J’ai continué mon travail à l’école, j’ai pleuré et vomi en cachette. J’ai changé de médicaments maintes fois. Mon système immunitaire était rendu affaibli. J’ai fini par écouter les gens exceptionnels qui ont été mis sur ma route. À chaque journée naissait l’espoir d’aller mieux. J’ai ralenti la cadence pour me reposer.

En octobre 2017, ça n’allait pas. Les crampes au ventre, les envies pressantes et l’arthrite bien implantée n’étaient pas suffisantes pour toi. Diagnostic tombé : choc septique. La bactérie dans mon sang était une seconde arme à ton pouvoir. Tu avais le contrôle de ma vie. Cette longue hospitalisation m’a fait comprendre l’ampleur de ta puissance. Mon système était chaos. On devait agir rapidement, on m’a soigné. J’ai repris tranquillement de la force, pour un mois, un seul.

Horreur pour le temps des fêtes. Le bout restant de mon colon n’était pas dans le beat des festivités. J’ai pleuré. Le chirurgien m’a parlé, m’a conseillé. La meilleure option envisageable était une iléostomie permanente. Je n’étais pas prête; est-ce qu’on peut l’être vraiment? J’ai essayé de m’isoler. J’étais confinée dans une chambre d’hôpital pendant que les familles heureuses jouaient dehors à faire des bonhommes de neige. Je ne voulais voir personne. J’ai pleuré tout ce qui me restait. Et je les ai vus entrer. Eux, les trois hommes avec qui je vivais mon quotidien, le regard triste et malheureux, inquiet, mais voulant être rassurant. Ce regard qui nous vide l’intérieur, celui qui nous lit en entier. J’ai vu l’impuissance dans leurs yeux, la même que j’ai lorsque je regardais mes parents. Un parent ne baisse jamais les bras et j’ai les meilleurs modèles au monde! Je devais faire un choix, LE choix. C’est à ce moment que je l’ai trouvé, caché bien loin dans mon corps, mon alliée, MA FORCE intérieure. Ma force dans toute son entité. Le verdict était sans issue, je devais me faire enlever le colon pour aller mieux et j’allais le faire.  Crohn, c’était à moi de te mettre au combat avec mon alliée. J’ai cheminé dans cette voie.

À la seconde où je me suis réveillée de ma 2e opération, j’ai senti le bien causé par l’absence de ce que tu avais ravagé. Rapidement, on m’a présenté Rosie, ma stomie. Son arrivée allait tout changer. J’ai craint que Rosie rivalise avec mon amoureux. Je n’étais pas prête à lui laisser cette place. Et pourtant, il l’a aimé dès qu’il a vu les bienfaits qu’elle m’apportait. On peut retourner faire du vélo ensemble, je peux me lever le matin sans avoir une articulation enflée. Je peux même assister à un spectacle de musique sans devoir échanger mon siège avec celui de la toilette (attention Alex. Poulin, j’arrive!) J’apprends à vivre avec cette version 2.0 et c’est bien correct. Même si notre partenariat n’est pas tout à fait encore parfait (et oui, elle a des caprices!), je demeure indulgente, on ne se connaît pas depuis longtemps.

 Tout compte fait, j’ai gagné. Crohn, tu peux dormir encore longtemps. Cette alliée qui était en moi est là pour rester. Plus jamais tu n’auras ce contrôle sur moi parce qu’au bout du compte, c’est moi qui suis plus forte maintenant et ça, c’est grâce à toi.

 Joannie S